Une expédition (La Chaz et Narderant)
d’une équipe de spéléo de Genève : les Boueux
Extrait des archives de la Société Spéléologique Genevoise
Extrait de "L'aven du Berger
" d'Armand Linder
On parle d’armes et de munitions de la 2em
guerre mondiale découvertes dans un gouffre à Narderant
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L'équipe et les sympathiques supporters de Thoiry (R. Weber, A. Linder, Vecchio, Cordey, Currat sans la tête, à l'arrière plan Monsieur Ecuvillion et sa famille, ainsi que d'autres personnes de la région, surmontant le tout: Pingouin) |
Le 17 juillet 1951, nous nous retrouvons au chalet de La Chaz, soit Roth, Weber, Pingouin, Cordey, ainsi que deux nouveaux membres, un plombier et son épouse, qui fut donc la première femme admise à la Société. Ces deux personnages, recruté par Roth finissent par lui ravir sa place de Président; à cette occasion il n’a vraiment pas fait le bon choix. Pour ma part, je quitterai la Société en 52 pressentant ce qui se passera. Pour en revenir à la présente expédition tout se passe comme d’habitude dans le haut du gouffre, n’apportant rien de neuf, cela devient un peu ridicule. Dans la soirée un feu de camp réunit tout le monde. Charly qui, en ancien boy-scout, est un fin connaisseur de ce genre de festivités, se déchaîne en faisant des mimes, nous enchantant en chantant et en nous racontant des blagues vraiment très drôles. Le lendemain,
dimanche, une équipe entreprend d’explorer un abîme dans le haut de
Narderant portant le nom de gouffre du Château. Comme d’habitude
notre Président descend au fond de cette cavité, où il fait une
dangereuse cueillette. Pour ma part je m’emploie, parti seul sur le
terrain, à faire un relevé de tout ce qui pourrait être susceptible
d’intéresser des spéléos entre La Chaz et Narderant. (Relevé que
j’ai remis un demi-siècle plus tard au sympathique Président de la
S.S.G.)Pendant ce
temps, Charly remonte à la surface des armes diverses, revolvers,
etc., ainsi qu’une trentaine de grenades du type «citron».
Concernant les grenades c’est vraiment une grave erreur. En effet,
vu le temps passé dans le gouffre, elles sont en partie rouillées
donc très dangereuses. Dans un cas de ce genre il est préférable de
poser un avis sur l’entrée de la cavité, puis d’avertir l’armée du
pays concerné, qui compte dans ses rangs des spécialistes capables
de maîtriser les problèmes de ce genre. Cette découverte va nous
attirer bien des ennuis. Ces armes ont été abandonnées pendant la
guerre, sans doute en 41 ou 42, par des gars du maquis de Thoiry,
sans ressources, lâchés par certains qui ne voulaient pas d’ennuis
avec l’occupant allemand. Ils se rendent et comme beaucoup de héros
de la libération, finissent victimes des nazis à Buchenwald. Cette
malheureuse découverte va déchaîner de vieux règlements de compte,
il y a des fantômes qu’il vaut mieux ne pas réveiller. Nous nous
trouvons en pleine discussion sur le verrou de l’ancien glacier de
Narderant, sur le coup de midi et prenons en vitesse un repas
improvisé. Nous préparons de plus la descente dans la vallée, très
embarrassés par ce tas de munitions entassé à nos pieds que nous ne
pouvons décemment laisser sur place. A ce moment déboulent sur le
sentier une bande de randonneurs. Surpris, ils nous regardent en se
demandant qui nous sommes. Naturellement il faut les comprendre,
c’est une drôle de rencontre; un groupe de types en salopettes
vertes, casqués, en train de casser la graine devant un tas d’armes
de guerre n’est pas commun. Leur surprise surmontée ils filent aussi
vite que le vent sans demander leur reste. Nous éclatons de rire, ce
qui détend quelque peu l’atmosphère, car nous ne sommes pas à la
joie. Nous répartissons les charges, Roth transportant les armes,
laissant mon copain Robert se charger des grenades. Pendant la
descente ce dernier glisse, le chemin à cet endroit ressemble plus à
un pierrier qu’à un sentier. Comme je le suis, il tombe sur moi. Je
me retrouve avec le sac aux grenades sur le ventre, sensation des
plus désagréables et volée d’injures dédiées au découvreur. Sur la
fin de l’après midi nous arrivons enfin à Thoiry. Selon l’habitude
les amis locaux sont là pour nous recevoir. Nous leur décrivons
notre trouvaille et à notre grand étonnement une certaine gêne
s’installe. On nous fait entrer dans un bistrot bien connu, tenu par
une dame fort sympathique, déposons notre matériel le long d’un mur.
C’est alors que Monsieur Ecuvillon nous explique l’histoire des
armes découvertes. Sans soutien, sur un territoire bien trop exigu
et en partie découvert, les maquisards les ont balancées dans le
gouffre avant de se rendre. Plus personne ne savait où, le temps
avait fait son œuvre provoquant l’oubli de cette triste époque Je
sors avec Robert pour aller chercher la Primaquatre que nous avons
stationnée un peu plus loin. Une mauvaise surprise nous est
réservée, les quatre pneus sont à plat. Les hostilités commencent.
Que faire? Nous retournons au café et racontons ce qui est arrivé à
la voiture et demandons si le garagiste de Thoiry est chez lui.
Malheureusement on nous apprend qu’il est absent pour la journée. Un
adjoint du maire nous promet que le mal sera réparé demain à la
première heure, c’est bien, mais cela ne solutionne pas notre
problème actuel. La patronne du café qui nous connaît bien, qui nous
soutient car son fils était des maquisards abandonnés, nous offre
l’hospitalité pour la nuit, vu que notre matériel est déjà chez
elle. Elle propose que nous couchions dans le café. C’est très
gentil, mais impossible d’accepter, vous imaginez des spéléos
installés dans un bistrot avec toutes ces bouteilles à portée de
main, non, impossible de subir une pareille tentation ! Nous
choisissons une solution mieux adaptée à la situation. Avec la
bénédiction du Maire, nous montons nos tentes sur une pelouse
longeant le cimetière, nous ne craignons pas les fantômes. Les
camarades, ainsi que le couple venu par les moyens de transport
collectifs rentrent à Genève comme ils l’auraient fait normalement.
Reste Weber, Roth, et deux ou trois camarades propriétaires des
tentes et moi. Vu la conjoncture nous montons la garde à tour de
rôle, nous méfiant, car les plaisantins qui se sont attaqués à la
voiture pourraient bien remettre ça. Rien ne se passe et la nuit
s’efface devant l’aube. Levés dans la fraîcheur du matin, nous
faisons un brin de toilette à une fontaine. Nous plions le camp
improvisé, alors que notre Président un peu inquiet part pour se
rendre chez son patron, suivit du reste de la troupe. Nous voici
seuls Robert et moi, avec le matériel et les grenades. Nous
retournons au café d’où je téléphone à mon frère, au bureau, pour
lui expliquer ce qui est arrivé et seuls avec ce problème de
grenades. Mon frère demande le No. du téléphone d’où nous appelons,
me dit qu’il va s’occuper de la question, et nous prie d’attendre.
Une demi-heure plus tard il nous rappelle. Il me dicte la marche à
suivre; une fois la voiture récupérée, charger notre barda y compris
les grenades, puis nous rendre au Bourg-de-Four à Genève, où se
trouve le siège de la police et le chef de celle-ci, le Major
Panosetti, qui nous recevra et prendra en charge le lot de grenades
dont son service de neutralisation des explosifs. Nous récupérons la
voiture remise en ordre par le garagiste, gratuitement, la commune
ayant probablement pris en charge cette réparation. Nous suivons à
la lettre les instructions reçues et après un rapide passage à la
Douane de Meyrin, avec une légère appréhension malgré tout, nous
traversons la ville et nous parquons devant le siège de la police,
sans problème. Nous pénétrons dans le bâtiment et avisons dans le
hall d’entrée une banque derrière laquelle trône le planton de
service. Après un coup de téléphone pour nous annoncer, il nous
demande, intrigué, pourquoi nous voulons voir le Major, derechef
nous lui expliquons l’affaire des grenades, il nous demande leur
forme et éclate de rire en nous disant qu’elles sont inoffensives,
et que nous pouvons aller les chercher puisque le Major nous attend.
Nous retournons à la voiture et pour transporter les engins nous en
remplissons nos casques. De retour dans l’entrée nous passons devant
le gros gendarme, interloqué, il se cache derrière sa banque et
hurlant de peur, il nous crie de foutre le camp avec nos saloperies;
tiens, elles ne sont plus inoffensives ! D’un doigt tremblant il
nous indique l’escalier montant chez le Major. Sur un premier palier
il y a deux portes. Un gars en civil, mais certainement de la
maison, ouvre brutalement l’un de ces accès, nous regarde interdit,
referme en vitesse. Robert et moi nous ne pouvons retenir un gros
rire. Enfin au premier, on nous fait entrer chez le Major qui prend
les casques et les vide avec précaution dans un grand bol en bois
ornant une commode. Puis cela fait, il nous prie de nous asseoir.
Comme il me connaît, il me demande des nouvelles de mes parents. Mis
au courant par mon frère de l’affaire, il estime que nos supérieurs
se sont vraiment conduits d’une manière cavalière à notre égard à
cette occasion. Il demande comment les explosifs ont voyagés. Nous
lui décrivons l’emballage des grenades dans des sacs de couchage
pour qu’en cas de … Il éclate de rire et nous révèle que si ces
objets avaient explosés, il ne serait resté de la voiture que des
morceaux gros comme des confettis. Nous étions vraiment des
innocents. Enfin nous nous en sommes bien sortis, d’autant plus que
nous étions coupables de transport dangereux, d’infraction au trafic
des armes, et d’importation frauduleuse d’armes de guerre : ouf!
Pour finir, il me conseille de lui téléphoner dans la soirée pour
connaître le résultat de l’état de santé de ce matériel. |